L’équanimité est un parfait équilibre de l’esprit. Dans cet état, enraciné dans une vision pénétrante et profonde des choses, l’esprit est inébranlable.

Quand on regarde le monde qui nous entoure et que l’on regarde au fond de notre cœur, on voit clairement combien il est difficile d’obtenir et de maintenir l’équilibre de l’esprit.

On observe la vie et on constate qu’elle oscille continuellement entre des opposés : ascension et chute, succès et échec, perte et gain, approbation et réprobation. Nous sommes conscients de nos réactions de joie et de peine, d’exaltation et de désespoir, de déception et de satisfaction, d’espoir et de crainte. Ces vagues d’émotion nous emportent puis nous rejettent ; ensuite, à peine avons-nous retrouvé un peu de paix que nous sommes empoignés par la force de la vague suivante. Comment espérer trouver un appui sur la crête des vagues ? Comment poser les fondations de notre vie au milieu de l’agitation incessante de l’océan de l’existence sinon sur l’Ile de l’Equanimité ?

Un monde où cette petite part de bonheur qui nous est offerte est enfin sauvegardée après de nombreuses contrariétés, désillusions et défaites ; un monde où seul le courage de recommencer encore et encore garantit le succès ; un monde où un peu de joie arrive à percer au milieu de la maladie, de la séparation et de la mort ; un monde où les êtres qui, peu de temps auparavant, partageaient notre joie, en appellent à notre compassion… un tel monde a besoin d’équanimité.

Mais l’équanimité dont nous avons besoin doit avoir pour fondement la vigilance, la présence d’esprit claire et consciente, et non une terne indifférence. Elle doit être l’aboutissement d’un entraînement difficile, entrepris volontairement et non le résultat d’une humeur passagère. Pourtant l’équanimité ne mériterait pas son nom si elle devait n’être que le produit d’efforts répétés, auquel cas elle serait certainement affaiblie et, au final, vaincue par les vicissitudes de la vie. La véritable équanimité doit être capable de faire face à toutes ces difficultés puis de régénérer ses forces en se ressourçant à l’intérieur. Elle ne possèdera cette force de résilience et d’auto-renouvellement que si elle est enracinée dans une profonde vision intérieure.

Alors, quelle est la nature de cette vision pénétrante ? C’est la claire compréhension de l’origine de toutes les vicissitudes de la vie, et la claire compréhension de notre nature véritable. Nous devons comprendre que tout ce que nous vivons est le fruit de notre kamma ou karma, c’est-à-dire de nos pensées, nos paroles et nos actions dans cette vie et dans des vies passées. Le kamma est ce qui cause notre naissance (kamma-yoni) et, que cela nous plaise ou non, nos faits et gestes nous « appartiennent » inévitablement (kamma-saka). Par contre, dès que l’action est accomplie, nous perdons tout contrôle sur elle : elle demeure en nous à jamais et nous revient comme un boomerang en héritage (kamma-dayada). Rien de ce qui nous arrive ne vient d’un monde « extérieur » hostile qui nous est étranger ; tout est le résultat de nos pensées, de nos paroles et de nos actes. Dans la mesure où savoir cela nous libère de la peur, c’est le premier fondement de l’équanimité. Si, dans tout ce qui nous arrive, nous ne rencontrons que nous-mêmes, pourquoi avoir peur ?

Si, malgré tout, la peur ou l’inquiétude apparaît, nous connaissons le refuge où elle peut être apaisée : dans le souvenir de nos bonnes actions (kamma-patisarana). En prenant ce refuge, confiance et courage grandiront en nous : confiance dans la force protectrice de nos bonnes actions passées, et courage pour continuer à agir ainsi malgré les difficultés décourageantes de notre vie actuelle. En effet, nous savons que les actes nobles et désintéressés procurent la meilleure protection contre les coups durs du destin ; qu’il n’est jamais trop tard mais au contraire que le moment est toujours bien choisi pour une bonne action. Si ce refuge, créé en agissant bien et en évitant le mal, s’établit fermement en nous, un jour nous aurons cette certitude : « Le malheur et le mal venus du passé s’épuisent de plus en plus tandis que j’essaie de rendre la vie présente immaculée et pure. Alors, que pourra apporter l’avenir sinon de plus en plus de bon ? » Grâce à cette certitude, notre esprit deviendra serein, et la patience et l’équanimité nous apporteront la force de supporter toute adversité survenant dans le présent. Dès lors, nos actes seront nos amis (kamma-bandhu).

Puisque tous les événements de notre vie sont le résultat de nos propres actes, ils seront aussi nos amis, même s’ils nous apportent chagrin et douleur. Nos actions nous reviennent sous un aspect qui ne nous permet pas toujours de les reconnaître. Parfois elles nous reviennent dans la façon dont les gens nous traitent, parfois comme un grand bouleversement dans notre vie ; le plus souvent ces événements vont à l’encontre de nos attentes ou à l’opposé de nos désirs. Ces expériences révèlent des conséquences de nos actes que nous n’avions pas prévues ; elles mettent à jour des motivations à moitié conscientes de nos actions passées que nous ne voulions pas voir, que nous dissimulions sous de faux prétextes. Si nous apprenons à voir les choses sous cet angle et à lire le message que nous transmet notre vécu, la souffrance elle-même deviendra notre amie. Une amie sévère mais honnête et bien intentionnée, qui nous enseigne la matière la plus difficile, la connaissance de soi, et qui nous met en garde contre les abîmes vers lesquels nous nous dirigerions sinon aveuglément. En considérant la souffrance comme notre enseignante et notre amie, nous réussirons mieux à la supporter avec équanimité. En conséquence, l’enseignement sur le kamma nous donnera un formidable élan pour nous libérer du kamma, de ces actions qui nous rejettent, encore et encore, dans la souffrance des naissances répétées. Nous serons dégoûtés par notre propre désir, par notre vision erronée des choses, par notre propension à créer des situations qui mettent à l’épreuve notre force, notre résistance et notre équanimité.

La seconde claire compréhension sur laquelle l’équanimité doit être fondée est l’enseignement du Bouddha sur le non-soi (anatta). Cette doctrine montre que, au niveau de la réalité ultime, les actions ne sont pas accomplies par une « personne », pas plus que le résultat de ces actions n’affecte une « personne », un « moi ». Elle montre aussi que, par voie de conséquence, s’il n’y a pas de « moi », nous ne pouvons pas non plus parler de « mien ». C’est l’illusion d’un moi qui crée la souffrance et empêche ou perturbe l’équanimité. Si l’un ou l’autre aspect de notre caractère est critiqué, nous nous disons : « Je suis critiqué » et l’équanimité est ébranlée. Si telle ou telle activité ne réussit pas, nous nous disons : « Mon activité a échoué » et l’équanimité est ébranlée. Si nous perdons notre richesse ou des personnes chères, nous nous disons : « Ce qui était à moi a disparu » et l’équanimité est ébranlée.

Pour que l’équanimité devienne un état d’esprit inébranlable, nous devons renoncer à toute pensée de possession, en commençant par les petites choses dont il est facile de se détacher et en allant progressivement vers les possessions ou les objectifs dans lesquels nous avons investi tout notre cœur. Nous devons aussi renoncer à la contrepartie de ces pensées, c’est-à-dire à toutes les pensées égoïstes qui tournent autour de « moi », en commençant par certains aspects de la personnalité, des choses relativement peu importantes comme des petites faiblesses facilement reconnues, et en continuant progressivement jusqu’à travailler les émotions et les aversions que nous considérons comme étant au cœur de notre être. Ce détachement doit absolument être pratiqué.

L’équanimité pénètrera dans notre cœur proportionnellement au degré de renoncement aux pensées de « moi » et de « mien ». En effet, comment une chose que nous voyons désormais clairement comme étrangère à nous et vide de sentiment « personnel » pourrait-elle créer en nous des perturbations du fait du désir, de l’aversion ou du chagrin ? C’est ainsi que l’enseignement sur le non-soi va nous guider sur la voie de la libération, de la parfaite équanimité.

L’équanimité est le joyau sur la couronne des quatre états sublimes : ressentir bienveillance et compassion envers tous les êtres, se réjouir du bonheur des autres et rester serein en toute situation. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que l’équanimité est la négation des trois autres ni qu’ils lui sont inférieurs. Au contraire, l’équanimité inclut les autres états sublimes ; ils en sont même totalement imprégnés, tout comme l’équanimité est totalement imprégnée par eux.

par Nyanaponika Thera
Traduction de Jeanne Schut
Extrait de : The Four Sublime States

(source : www.dhammadelaforet.org)

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